Mercantourman 2025

Mercantourman
Le concept : un triathlon en autonomie complète, pas de ravito, pas de balisage, et du tout terrain.
Parcours point à point en natation, en longeant la côte, 140 km de gravel avec 4300 D+ et 42 km de trail avec 2100 D+
Et une météo caniculaire avec le premier week-end très chaud de l’année.
La pire prépa de ma vie de triathlète. Après la SaintéLyon en décembre dernier, j’avais un genou qui grinçait.
La solution : du renforcement musculaire. Sauf que j’en ai trop fait, et j’ai déclenché une tendinite à l’insertion de l’ischio droit en janvier.
Ce qui fait qu’à partir de ce moment-là je ne pouvais plus faire d’intervalles longs sur le vélo.
Heureusement, je pouvais encore faire de la PMA.
Mais cette tendinite est très douloureuse en position assise, donc pour me soulager je me tenais mal sur ma chaise de bureau, et en mars j’ai commencé à avoir mal au dos. Jusqu’à déclencher un lumbago qui va me bloquer pendant une semaine. Et là, fini toutes les intensités à vélo, et bien sûr, je ne cours plus depuis janvier.
Les semaines passent et peu d’amélioration. Je ne me laisse pas abattre pour autant. Je revois tous mes objectifs à la baisse, et je me vois même contraint de marcher le marathon de Paris en avril. Une expérience d’humilité, mais j’ai pris un plaisir inattendu à me concentrer sur la réalisation plutôt que le résultat. 5h30 au marathon et j’étais content de moi à l’arrivée.
Le mois de mai passe, j’arrive à refaire du vélo, mais le dos reste très sensible et se contracte au moindre effort.
Je me concentre sur ce que je peux faire et j’essaye de m’en contenter. On arrivera tout de même à faire un des brevets de 200 km en tandem avec Murielle (sur 3 prévus), ce qui me redonne confiance pour la suite. Je n’irai peut-être pas très vite, mais je dois pouvoir aller au bout de ce Mercantourman, même si je dois à nouveau marcher le marathon.
Avec toutes ces blessures, j’ai tout de même pu nager et mon niveau en natation est au meilleur depuis quelques années. Pas au niveau de Roth 2019 mais pas loin. À vélo j’estime que je suis 10-15 % en dessous de ma FTP habituelle, et en CAP, bah je peux courir 5 km mais pas plus. C’est pas glorieux, mais au moins je peux prendre le départ.
On descend dans le sud en faisant une pause pour dormir, histoire d’arriver frais. Repas au resto de la plage, bon c’était pas la petite pizzeria mais un resto de luxe avec vue, on y a laissé un SMIC.
Je dépose le vélo pendant que Murielle et Sam profitent de la plage. Ensuite, briefing de course, on est que quelques aventuriers à se lancer. Seulement 12 au départ du parcours gravel.

La mauvaise surprise c’est qu’on ne peut pas garer le van à côté de la plage de départ. Heureusement, on trouve un hôtel à 1 km, je pourrai aller au départ à pied.
À 4 h du mat je me réveille, je sors discrètement de la chambre pour aller prendre mon petit déjeuner dans le camion. Rencontre inattendue avec un jeune sorti de soirée pendant que j’enfile ma combi :
— « Mais tu vas faire de la plongée dans la nuit ? »
— « Non, je vais juste nager. »
— « Ah cool ! Et tu vas où ? »
— « À Èze. »
— « Mais c’est super loin, tu vas te noyer. »
Hihi.
Je descends ensuite sur la plage, les odeurs sont incroyables, il fait encore nuit, tout est calme.

Les gens arrivent petit à petit. Le jour se lève, c’est magnifique.
Je me mets à l’eau pour m’échauffer, elle est bonne, ça va être sympa.
Petit briefing, le directeur nous prévient : il va faire chaud, très chaud.
Départ, je prends les devants.
Pas de bouée, juste un cap, je prends au plus court.
L’eau est très chaude, mais il y a une fine pellicule d’eau fraîche à la surface qui fait du bien.
De temps en temps j’ouvre le col de ma combi pour laisser rentrer de l’eau fraîche, je surchauffe un peu. On doit pas être loin des 24° ; en combi c’est limite.
J’ai un gars dans les pieds, tous les autres sont déjà loin après 500 m.
J’essaye de le semer avec une accélération mais il s’accroche. J’essaye de ralentir pour le laisser passer prendre un relais, mais il reste derrière. Ok, il va pas m’aider quoi.
Je prends mon rythme et je déroule, on verra plus tard pour se séparer du rémora.
Je passe le cap, il faut maintenant s’orienter vers la plage. On devait repérer un bateau mais il est parti. Je repère la plage qui est sous un grand immeuble, et je décide de larguer mon rémora. Accélération vers la droite, puis quand je vois qu’il est légèrement décroché, j’accélère encore plus fort sur la gauche.
Ça y est, il est décroché, y a 5 m, il ne reprendra pas le draft. Je maintiens l’effort et j’arrive 1er à T2.
C’était mon seul objectif un peu compétitif de la journée, on peut presque dire que la course pourrait s’arrêter là et je serais content.
T1
Je suis à poil sous la combi, c’est un peu le peep-show pour les gens sur la plage. Je me rince sous la douche et enfile une tenue de vélo standard, pas de trifonction pour partir en gravel pour au moins 8 h de vélo. Aujourd’hui c’est confort avant tout.
Vélo
Je pars en même temps que le 2e, mais lui est sur route. D’ailleurs je fais l’erreur de le suivre en sortant de T1 mais le parcours route part à droite et le gravel à gauche. Oups, demi-tour.

À peine 10’ et ça démarre pour une première bosse, avec une grosse partie bitume. 6 km à 5 %.
J’y vais super tranquille, je sais que je n’ai pas la condition habituelle et il va faire chaud, très chaud, donc je ne regarde même pas les watts. J’affiche juste le cardio et je suis super conservateur, je dois tourner entre 120 et 130 bpm soit 65-70 % de FC max.
Ça grimpe tranquillement, personne ne revient.

On passe ensuite sur du chemin et ça grimpe toujours : 6 km à 6 % sur du gravier assez meuble. Le vélo accroche bien, toujours tranquille.

Peu avant le sommet, je me fais rattraper par un Belge. Il est sur un VTT et roule très fort. Je m’attends à ce que ce soit le défilé maintenant. Je regarde la carte GPS en haut, mais non, les autres sont à 5 km derrière, j’ai le temps de voir venir.

Descente pas technique mais le gravier est glissant, j’y vais tranquille.
40 km, on attaque une belle bosse : 7 km et 8 %, mais surtout ça démarre par un monstre raidard bétonné. Je comprendrais rapidement que quand c’est bétonné, c’est que ça va taper dans les 15 %.
Impossible de rester dans la zone prévue, il m’aurait fallu encore plus de braquet, je suis pourtant sur du 38x50.
Bon, ça grimpe, dès que ça replate je récupère et reprends un rythme plus cool, mais c’est plutôt entre 130 et 140 bpm.
Je fais bien gaffe à ma nutrition : toutes les 30 min. Et je bois, objectif : une bouteille par heure.
J’ai repéré toutes les fontaines du parcours et je m’arrête à chacune pour toujours avoir le plein.
Il fait déjà 32° à 10 h du matin.
À la fin de la descente, j’ai rattrapé l’ami belge, il s’est arrêté manger une pizza, il avait en gros 20 min d’avance sur moi. Il me double à nouveau et s’envole. Sacré coup de pédale.
Ensuite, du terrain pas trop compliqué puis on attaque une autre belle bosse : 10 km à 7 %.
Là, il fait chaud, très chaud, on approche puis dépasse les 40°. Très peu d’ombre, ça tape.
À mi-pente je rattrape à nouveau le Belge. Il est en perdition, des crampes, ça va être dur. Il se demande s’il va pouvoir courir.
Je suis alors en tête de la course. Je regarde les positions GPS et les autres sont toujours entre 5 et 10 km derrière. Bon tant mieux, vu mon niveau de CAP, avoir un peu d’avance ne sera pas plus mal.
Une descente et c’est reparti : 7 km, 6 %, mais encore de belles rampes à 15 %.
Dans la dernière partie de la bosse, je commence à surchauffer. Je décide de m’arrêter 5 min à l’ombre. Je m’allonge, mets un timer et ferme les yeux. 5’ plus tard je repars.
Mais c’est super raide, le cardio s’envole. Je vais mieux mais je ne peux pas taper dedans comme ça. Je décide de marcher les parties les plus raides. De toutes façons, les autres sont loin, et si je veux finir le marathon, il faut que je m’économise. Déjà 8 h de vélo, tiens c’est ce que j’avais prévu pour finir, mais il reste 30 km et 1500 m de D+.
Au pied de la dernière bosse je m’arrête dans un supermarché. Ravito !!!
Les gels, ça va bien un moment, mais là il me faut des chips, des bananes et de l’eau.
Le Belge arrive quand je repars. Il est incrusté de sel. Je me regarde et moi, bah, ça va. J’ai vraiment bien géré. Je me sens encore bien, quand le soleil ne tape pas trop fort, je vais même très bien encore.
2× je m’arrêterai pour pousser le vélo dans cette bosse. Ça aurait pu passer sur les pédales, mais j’y aurais laissé des plumes. Je suis devant, sur un malentendu je peux faire podium, mais pour ça il faut finir. Et vu ce qu’on prend dans la tronche niveau chaleur, il faut vraiment, vraiment s’économiser.
Je finis le vélo en 11h15. Je ne pense qu’à une chose : la douche à T2.

Murielle et Sam sont là pour m’accueillir, je suis tellement content de les voir. Ils ont la patate, ça fait pourtant 3 h qu’ils m’attendent là. Depuis 8 h de vélo, je ne fais que repousser mon heure d’arrivée, mais voilà, je suis enfin là, et pour la première fois je pose le vélo en premier.
T2
Murielle a préparé toutes mes affaires, j’attrape mon short et je file sous la douche, oh là là que c’est bon après tout ce temps à cramer au soleil.
Je retourne dans la salle et je finis de me changer, et surtout je bois ce coca bien frais dont je rêve depuis des heures. Je mange un peu, je remplis mes gourdes et au moment de partir, le Belge arrive. Il s’arrêtera là. Trop de crampes pour partir courir.
En même temps que moi, deux gars du parcours route prennent le départ de la CAP.
Bon, c’est une première pour moi en CAP, pas de signalisation du parcours, juste une trace sur le GPS.
Il y a deux boucles de 21 km à faire. Sur le papier la boucle 1 est la plus facile, me sentant encore plutôt bien, je décide d’attaquer la plus dure. Les deux autres font de même. L’objectif, c’est de faire la dernière descente, réputée assez technique, de jour.

Ça part direct dans des escaliers donc je ne fais pas le malin et je marche. Les deux gars derrière ont déjà du mal à s’orienter. Bon, moi je suis à peu près sûr de mon coup donc je ne les attends pas. C’est parti.
Je tape dans le petit paquet de chips que j’ai emmené avec moi. Ah, ça fait du bien.
Petit coup d’œil sur la carte, les autres participants sont à 15 km de T2, j’ai en gros 1 h d’avance. Est-ce que je peux rester devant ?
Après 1 km ça descend, dans la forêt, je trottine, et ça va plutôt bien.
Avec mon peu d’entraînement et le genou qui couine rapidement, je ne me fais pas d’illusion, je vais marcher une grosse partie de ce marathon. Mais je cours tout ce que je peux.
Finie la descente, j’attaque la première grosse montée, c’est parti pour 4 km à 18 %.
Déjà, quand on lit ça, ça n’a pas l’air facile, mais en plus la végétation est dense, et n’abrite pas vraiment du soleil. Je prends cher, c’est lent.
Mes cuisses sont rapidement à l’agonie. Heureusement j’ai les bâtons, et en gros, je monte à la force des bras.
Au bout d’1 h Murielle m’appelle, elle s’inquiète, je ne bouge pas beaucoup. Effectivement, je n’ai fait que 4 km. Je lui explique que c’est dur, et que ça va être long, très long.
Cette réalisation me donne un coup au moral. C’est le premier down de la journée. Après 13 h de course, c’est pas si mal.
Mais là le moral chute sévère. Je commence à imaginer des moyens d’arrêter ce bordel. J’abandonne le sport 2–3 fois, et je cherche à quel loisir je vais pouvoir dédier tout ce temps libre quand j’aurai arrêté de m’entraîner. L’électronique ? Le poker en ligne ?
Bon, ma montre sonne le 6e km, c’est pas tout mais il faut continuer d’avancer et surtout continuer de manger. Depuis le départ je m’envoie 25 g de sucre toutes les demi-heures. Ça a baissé un peu sur le vélo quand il faisait vraiment chaud, mais dès que je me suis senti mieux je m’y suis remis.
J’entends les deux gars derrière moi en contrebas. Ça a l’air compliqué.
Et voilà, après 2 h d’effort, j’ai fait 7 km et je suis enfin en haut de cette bosse. Je ne me suis perdu qu’une fois et je n’ai pas perdu trop de temps.
Maintenant 7 km de descente pas trop raide où je vais pouvoir dérouler un peu. Je décide d’alterner CAP et marche pour préserver mon genou. Je cumulerai 4 km de CAP avant d’atteindre la 2e difficulté de ce parcours : 2,5 km à 20 %.
La nuit commence à tomber. Le plan de faire la descente de jour s’envole.
Je prends un gel à la caféine histoire d’être un peu plus alerte, avec l’obscurité qui m’englobe. Ouahou, quel effet, mes pensées se clarifient, les jambes ne me font plus mal, et c’est avec un peu plus de rythme que je grimpe. Incroyable.
Bon, c’est pas foufou hein, je grimpe à 500 m/h, mais je grimpe, et le moral est revenu.
En haut de la bosse, je rattrape un gars du parcours route. Il m’annonce qu’il ne partira pas sur la 2e boucle. Moi je me sens bien, y a pas de raison, je vais continuer.
La descente est effectivement bien technique, mais je suis bien préparé, je m’aide bien des bâtons et je descends d’un pas sûr. Eh bah ça se passe pas si mal cette première boucle.
Et me voilà de nouveau à T2 après seulement 5 h… Il est 22 h.
J’ai prévenu Murielle à 1 km et elle est là pour m’accueillir. Je reprends une douche. À la sortie de la douche, un gars arrive aussi, mais lui a fait la boucle 1, il m’a repris 1 h. Mais il est cuit, il ne repartira pas.
Je me change, je mange, je suis super motivé, ça va le faire. En plus c’est la boucle facile maintenant…
Et je repars. Bon, ça commence bien, je me paume direct, y a une autre course dont le parcours était signalé et je me suis laissé emporter. Demi-tour, je retrouve le bon chemin et c’est reparti.
Bon, bah c’est pas si facile que ça. Effectivement, ça ne grimpe pas trop, mais le chemin est super étroit dans une végétation hyper hostile. Je me fais lacérer les tibias par tous les épineux. Ces 4 premiers km sont un calvaire. Je n’avance pas.
Petit coup au moral, mais je sais, je sais que si je vais au bout, ce sera ma première victoire en triathlon. Y a plus que deux autres gars en course et ils sont super loin sur l’autre boucle. Il faut “juste” que j’arrive au bout.
Enfin j’arrive au bout de ce maquis, sur ma droite en contrebas je vois Monaco tout illuminé. D’un côté c’est beau toutes ces lumières, de l’autre c’est moche cette sur-urbanisation.
Bon, allez, arrête de contempler le paysage et cours. Enfin non, mon genou me dit que je ne vais pas courir. Dommage, enfin une partie roulante en descente. Donc je marche. Allez, plus que 16 km et elle est pour moi.
Et voilà la dernière difficulté : 4 km à 13 %, dont 2,5 km à 17 %.
Je suis dans la forêt, étrangement je grimpe des marches, comme une espèce de très vieil escalier en caillou. Et ça n’en finit pas. Je débranche complètement le cerveau et je ne regarde plus ma montre. Je trouve un rythme et je grimpe, je suis dans une espèce de transe, marche après marche, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de marche.
Et voilà, je suis en haut, plus qu’à me laisser descendre. Le jour se lève, il est 4h30 du matin. Hier à la même heure, je descendais à la plage pour le départ.
La descente est facile, mais je ne peux toujours pas courir. Mais je savoure, c’est la fin d’une belle aventure.
J’arrive à 5 h du matin sur la ligne d’arrivée. Murielle est là, seule à m’attendre, et pourtant je suis le vainqueur de l’épreuve.

10’ après, le directeur de course arrive et me passe la médaille autour du cou. Voilà, c’est fait. J’ai fini le Mercantourman.
Cette course se veut intimiste, dure, et elle ne ment pas. Pas de sono au départ ou à l’arrivée, juste des gens venus pour se dépasser.
23h30 d’effort, pour me prouver que même quand tout va de travers, la persistance, la résilience, nous permettent de gravir des montagnes, au sens propre du terme.